Une politique du numérique « de gauche », luttant contre les inégalités sociales, la destruction des écosystèmes et évidemment contre la primauté des GAFAM est-elle possible ? Est-ce que ça pourrait se réaliser par exemple dans un soutien public massif aux outils et services dits « libres » ?
Je ne sais pas ce que serait une politique publique du numérique « libre, ouverte, juste, équitable, contributive et éthique » (pour tenter de la qualifier). Je ne sais pas non plus comment on la fait, concrètement. Je ne suis même pas sûr que ces qualificatifs soient suffisants pour changer quelque chose.
Le logiciel libre et l’accès ouvert ont changé l’économie de l’informatique, mais dans quel sens ? Hormis le rendre plus fluide, en quoi les logiciels libres et ouverts ont changé le monde ? Certes, qu’on ne s’y trompe pas : ils sont plus nécessaires que les logiciels propriétaires. Notre monde technique ne devrait pas — nulle part ! — pouvoir reposer sur des systèmes techniques dont le code et les données utilisées ne sont pas inspectables par d’autres (chercheurs, citoyens, autorités de contrôle…). Mais pour l’instant — et on peut fortement le regretter -, cela n’est hélas pas la règle !
La diffusion du logiciel libre et ouvert, n’a pas fait passer le monde de droite à gauche. Au contraire même. Aujourd’hui, le libre et l’ouvert sont adoptés par tout le monde et notamment par les services publics et les plus grandes entreprises, mais plus pour limiter leurs coûts de développements qu’autre chose. Je pense que cela montre que ces exigences, ces premières valeurs du réseau (la liberté et le partage) ne sont pas suffisantes, ne sont plus suffisantes pour conduire à un changement. Le logiciel libre est ainsi utilisé à la fois pour produire Wikipédia, mais également pour optimiser le tir de drones ou l’emprisonnement des migrants ! D’où les réflexions fortes, actuellement dans le monde du logiciel libre, autour de la question des licences à réciprocité c’est-à-dire, pour le dire vite, de produire des biens communs capables de discerner le bien commun et le favoriser.